mardi 19 juin 2012

Pierre Tapie, CGE : « Les professeurs doivent absolument participer à la sélection des dirigeants des écoles de management » (colloque AEF)

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lettre l'aef
 colloque AEF du 15 juin 2012
« Les professeurs doivent absolument participer à la sélection des dirigeants [des écoles de management] », déclare Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles, en conclusion du colloque organisé par AEF, vendredi 15 juin 2012, sur le thème : « Le modèle de financement et de gouvernance des écoles de management françaises est-il durable ? » (AEF n°168177). « Un équilibre doit être trouvé entre les externes - personnalités qualifiées - et les internes - étudiants, cadres et professeurs, de manière prépondérante », détaille-t-il. Lors de la seconde table ronde de ce colloque, consacrée à la gouvernance des écoles, trois principales questions ont été abordées par les intervenants : le rôle des CCI (Chambres de commerce et d'industrie), la place du corps professoral dans les organes de gouvernance, et les modes de désignation des dirigeants.

Interrogé sur la place des CCI dans la gouvernance des écoles de management à l'heure où leur part relative dans le financement diminue (1), Bernard Aubert, directeur général de la CCI de Grenoble, répond qu'il « ne se pose pas cette question ». « Il y a eu ces dernières années un développement exponentiel des budgets des écoles, les CCI n'ont pas pu suivre », reconnaît-il. « Les recettes fiscales des CCI ont diminué. Nous ne pouvons plus financer tous les champs. Les CCI doivent faire des choix stratégiques, mais je pense qu'elles doivent continuer à financer leurs écoles de commerce. Je déplore d'ailleurs que quelques dirigeants aient cru opportun d'éloigner leur école des chambres, lesquelles ont laissé faire. Les CCI et les grandes écoles ont encore un bon bout de chemin à faire ensemble et je crois que les problèmes financiers n'empêchent pas d'avoir des idées. Quel que soit son développement international, une école doit garder son enracinement local. Si elle s'éloigne excessivement de sa chambre, elle risque de prendre des décisions en décalage complet avec la réalité de l'école. »
M. KALIKA : « NOUS ENSEIGNONS LE MANAGEMENT, IL EST TEMPS DE L'APPLIQUER ! »
« Il est difficile d'imaginer que les grandes écoles de commerce n'aient plus de lien avec les CCI », admet lui aussi Michel Kalika, professeur à l'université Paris-Dauphine et ancien directeur général de l'EM Strasbourg (université de Strasbourg). « Les CCI ne sont pas qu'un soutien financier, elles représentent un élément identitaire historique, faisant le lien entre les écoles et les entreprises. Elles ont un rôle indéniable à jouer, à commencer par l'insertion des étudiants. Il est donc difficile d'imaginer qu'une grande école n'ait plus de lien avec sa CCI. Mais je ne dis pas non plus qu'il ne faut rien changer dans la gouvernance globale », estime Michel Kalika.

« Le contexte a fondamentalement changé, les standards internationaux ont fait évoluer nos écoles sur tous les plans (corps professoral, assurance qualité, pédagogie), excepté sur celui de la gouvernance, poursuit-il. Je m'interroge d'ailleurs sur le fait de savoir pourquoi les organismes d'accréditation ne s'intéressent pas aujourd'hui à la cohérence entre accréditation et gouvernance. Prenons l'exemple de la désignation des directeurs d'ESC : à l'étranger, ce recrutement est voisin d'un modèle universitaire avec appel à candidatures et comité de recrutement dans lequel des enseignants ont toute leur place. Je ne dis pas qu'il faut faire élire les dirigeants d'écoles par les enseignants, mais la gouvernance doit évoluer. Comment peut-on imaginer que dans une institution où la ressource stratégique est la faculté, cette dernière soit aux abonnés absents au moment de choisir son pilote ? Un directeur général qui n'a pas de légitimité auprès de la ressource académique aura inévitablement un problème de mise en oeuvre de décisions stratégiques. Nous enseignons le management, il serait temps de l'appliquer ! », lance Michel Kalika, qui martèle : « Une ressource stratégique ne peut pas être absente de la gouvernance au plus haut niveau ! »

M.-L. DJELIC : IL FAUT « DES MANDATS À TERME POUR LES DIRECTEURS »
Marie-Laure Djelic, ancienne doyenne des professeurs de l'Essec et spécialiste de gouvernance, acquiesce : « Il faut garder le lien avec les CCI et revoir la gouvernance. » Selon elle, « les modèles universitaires d'excellence à l'étranger doivent nous inspirer, car c'est avec eux que nous sommes en concurrence directe ». « Nous avons également des choses à apprendre de la gouvernance d'entreprise », ajoute-t-elle, citant parmi les « bonnes pratiques » des « boards resserrés, avec des membres extrêmement impliqués », des « comités ad hoc à côté », une « séparation très nette entre management et contrôle », ainsi que « la compétence des dirigeants, l'indépendance, la transparence… »

Elle insiste également sur la nécessité d'introduire des « mandats à terme, renouvelables », pour les dirigeants d'école, aucun dirigeant ne pouvant jouir d'une légitimité ad vitam eternam. Il n'est pas question pour elle que la faculté « prenne la main », mais il faut « trouver un équilibre » : le « sénat académique » peut être « l'une des manières d'organiser la collégialité académique », mais les « comités ad hoc » sont des instances « un peu plus efficaces ». Elle rappelle que les écoles sont des « sociétés à but éducatif », où « 60 % au minimum de la création de valeur vient de la faculté ». « La recherche est la partie 'haute couture' d'une école, qui crée de la valeur très puissante et constitue son fonds de marque, sa réputation, comme à Harvard, et représente un levier pour attirer les meilleurs enseignants et faire payer les étudiants », analyse Marie-Laure Djelic. « La collégialité passe par l'intégration en amont de la faculté dans la gouvernance. »

T. FROEHLICHER : « IL FAUT SAVOIR SE RETIRER »
Une position que ne partage pas Bernard Aubert, de la CCI de Grenoble, estimant que les enseignants ont déjà leur place, à GEM (Grenoble école de management) par exemple, dans « le conseil d'orientation, qui est un lieu de partage, d'échange, de collaboration ». « Pour autant, ce n'est pas un lieu où peuvent se prendre des décisions telles que le choix du directeur. Ce choix appartient au DG de la chambre, au nom de l'intérêt des clients de l'école que sont les entreprises. Et ce dernier ne décide pas 'sur un coin de table', il prend en compte toutes les influences. » Ce que Michel Kalika qualifie de « modèle historique » mais « qui appartient au passé » et se révèle aujourd'hui « inadapté ». « Pour satisfaire l'intérêt des entreprises, ne faut-il pas une cohérence entre toutes les parties prenantes ? », interroge-t-il, tout en glissant qu'il ne « faut pas prendre modèle sur la gouvernance universitaire ».
Thomas Froehlicher, directeur général d'HEC-Université de Liège (Belgique), raconte son propre recrutement : appel à candidature externe, présélection, vote de l'assemblée générale, prérogative du conseil d'école pour deux tiers des voix et droit de veto in fine du recteur sur le nom retenu. « Quand on est directeur d'école, dit-il, il faut vérifier tous les trois ou quatre ans que l'on est toujours en adéquation avec l'ensemble des parties prenantes, et savoir se retirer » en cas de défiance de 50 % du conseil de gouvernance, par exemple. « Une bonne gouvernance est celle qui permet d'évoluer au fil de l'eau et non de créer de la stabilité. Une bonne gouvernance est dynamique, elle s'ajuste. »

S. BOURCIEU : SE DÉVELOPPER DEMANDE DE LA STABILITÉ DANS LA GOUVERNANCE
« C'est plus compliqué qu'il n'y paraît », réagit de son côté, dans la salle, Bruno Bouniol, vice-président de la CCI de Versailles et président du directoire de l'Essec. « Un mandat à terme, c'est combien : trois ans, quatre ans, dix ans ? Prenons l'exemple d'un mandat de cinq ans. Il faut l'évaluer au bout de quatre ans. On perd donc au minimum un an d'efficacité ! » « Il n'est pas nécessaire de réinventer la roue », répond Marie-Laure Djelic. « Il suffit de regarder autour de nous : le mandat le plus répandu est de quatre ans renouvelable. »

Stéphan Bourcieu, directeur général de l'ESC Dijon, fait quant à lui remarquer que « les écoles qui se sont le plus développées sont celles qui ont été stables dans leur gouvernance, à l'image de l'Edhec avec son directeur général, Olivier Oger ». « À Dijon, l'école que je dirige depuis six ans n'a pu se développer que grâce à la stabilité des équipes et des projets pédagogiques », raconte Stéphan Bourcieu. « Une dynamique s'est créée alors qu'avant moi, l'école avait connu huit directeurs en dix ans. Je crois donc qu'il faut une logique de mandat en alignement avec un projet. Une école est une machine lourde. Il faut bien avoir conscience qu'il peut se passer dix ans entre une prise de décision et son effet. »

P. TAPIE DEMANDE DES « ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS DE MISSION DE SERVICE PUBLIC »En guise de conclusion, Pierre Tapie déclare que « la participation des corps internes à la haute gouvernance est bien plus variable que ce qu'on a l'habitude d'en dire ». « Considérable dans l'université, il est plus contrasté dans les business schools », reconnaît-il. Il note par exemple qu'aucun enseignant n'est présent dans le board de l'Edhec : « Mais l'Edhec aurait-elle pu prendre les mêmes décisions en cas de gouvernance inclusive ? Pas sûr », affirme-t-il. S'agissant du rapport aux CCI, il pointe la nécessaire articulation entre « deux risques gigantesques » : d'un côté, « qu'un groupe d'élus loin des questions universitaires prennent des décisions inconsidérées », et de l'autre, « perdre un ayant-droit de référence ». Il ajoute que même si sa part relative diminue, « l'important est que l'argent qu'apporte la CCI est de l'argent libre ». « À l'Essec, la CCI apporte 9 % de notre budget, indique Pierre Tapie. C'est petit pour être majoritaire, mais cela équivaut à 300 % de notre budget annuel d'endowment (2) ! De plus, l'argent libre est ce qui fonde le plus notre indépendance universitaire. »

Pour lui, le problème est davantage dans le manque de financement des écoles, obligées « chaque année de chercher de l'argent 'le couteau entre les dents' », mettant en oeuvre un « business model de combat ». C'est pourquoi il formule deux propositions à l'adresse des pouvoirs publics : verser aux écoles de la CGE une enveloppe de 300 millions d'euros par an (soit 2 500 d'euros par an et par étudiant, l'équivalent de ce que verse l'État pour les étudiants de l'université) et étendre à l'enseignement supérieur ce qui a été fait récemment pour l'hôpital en matière de statut des établissements : « Je formule le voeu que soit créé en France, par la loi, un nouvel objet social : un établissement privé de mission de service public de l'enseignement supérieur », lance le président de la CGE. Plus tôt dans la matinée, Yves Fouchet, président de la CCI de Versailles, Val d'Oise, Yvelines (3), avait pour sa part plaidé en faveur la création de « sociétés à objet éducatif » pour les écoles.

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